Budget, fonctionnement, failles juridiques... Les maux de l'AMO

Absence de repères juridiques, contours de responsabilités non déterminés, faible taux de couverture, ou encore absence de mise à jour des paniers de soins. Tels sont, selon le dernier rapport de la Cour des comptes, les principaux maux dont souffre l’Assurance maladie obligatoire de base au Maroc.

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Les commissaires aux comptes ont passé le système de gestion de l’Assurance maladie obligatoire (AMO) au peigne fin. Dans son rapport annuel de 2018, la Cour des comptes a consacré plus de 50 pages à la gestion de la couverture médicale dans les secteurs public et privé.

Le rapport de la Cour des comptes interpelle l’Agence nationale de l’assurance maladie (ANAM), ainsi que les deux organismes en charge de la gestion de l’AMO, la Caisse nationale des organismes de prévoyance sociale (CNOPS) et la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS). Ces institutions sont notamment épinglées sur des dysfonctionnements liés aux procédures de travail, mais aussi le cadre législatif et organisationnel.

Un régulateur sans pouvoir

Le législateur marocain a fait en sorte de créer l’ANAM pour jouer le rôle de régulateur de l’AMO. Toutefois, “il s’avère qu’elle ne jouit pas de tous les pouvoirs dévolus à un organisme de régulation pour qu’elle puisse assurer pleinement ses fonctions d’arbitrage, de sanction et de régulation du régime”, souligne le rapport.

S’agissant de l’indépendance de l’agence, les commissaires aux comptes mentionnent que “l’ANAM a agi depuis sa création comme un démembrement ou une direction du ministère de la Santé”. Pourtant, le premier objectif qui lui est assigné était de “rehausser le niveau de son rattachement institutionnel en vue de sauvegarder son indépendance et son autorité”.

Les auteurs du rapport précisent également que la présidence du conseil d’administration de l’ANAM par le ministre de la Santé sur délégation du chef du gouvernement “ne fait qu’accentuer cette relation organique”, puisque le ministre de la Santé “n’est qu’un acteur parmi d’autres agissant dans le cadre de la couverture médicale de base”. Résultat ? “le pouvoir de l’ANAM se résume à émettre des avis ou des propositions qui doivent être approuvés par le ministre de la Santé avant leur opposabilité aux différents acteurs”, conclut le rapport.

Manque de réactivité

La Cour des comptes dénonce en outre un manque de réactivité de l’ANAM. Ceci se manifeste notamment par l’absence de mise à jour du contenu du panier de soins, depuis l’avènement de l’AMO en 2005, à l’exception de la liste des médicaments remboursables.

L’impact de cette non-mise à jour n’a fait qu’alourdir le restant à charge des assurés atteignant 35% en 20116 au lieu de 28% en 2010”, souligne le rapport. S’agissant du restant à charge des assurés atteints de maladies chroniques ou de maladies de longue durée, les commissaires aux comptes ont constaté, entre autres, que la liste de ces maladies, fixée par l’arrêté n°2518 du ministre de la Santé, n’a pas été revue ou mise à jour depuis le 5 janvier 2006.

Dans le même sens, la Cour des comptes pointe du doigt l’absence d’un système d’information performant permettant à l’ANAM de s’acquitter de la mission de veille quant à l’équilibre global entre les ressources et les dépenses pour chaque régime de l’AMO.

Les commissaires aux comptes précisent que l’ANAM est incapable de “produire de véritables rapports avec des indicateurs et des orientations permettant de dresser une vision progressive avec une définition des priorités, éditer des mesures de régulation et de maîtriser des dépenses”. La Cour recommande par ailleurs de mettre en place un système d’information interconnectant les différents partenaires, notamment le ministère de la Santé, les prestataires de soins, et les organismes gestionnaires.

Un cadre juridique “ambigu”

L’examen de la gestion de l’AMO par la CNSS (régime du secteur privé) a fait ressortir plusieurs lacunes au niveau du cadre juridique. Ainsi, le rapport fait mention de la non-promulgation des textes d’application qui concernent directement les droits des assurés. Ces derniers devraient être promulgués en complément de la loi n° 65-00.

Pour pallier cette incomplétude du cadre juridique, la CNSS a procédé, selon le rapport, à l’adoption d’un certain nombre de règles de gestion. Elles ont cependant été mises en œuvre sans la validation du Conseil d’administration.

Les mêmes observations concernent la gestion de l’AMO par la CNOPS (régime du secteur public). Selon le rapport de la Cour des comptes, les dispositions du Code de la couverture médicale de base pour ce régime renvoient à des textes réglementaires qui n’ont toujours pas été adoptés. L’absence de ces textes, notamment ceux relatifs aux règles de facturation ou à la détermination des conditions dans lesquelles l’assuré ne perd pas le droit au remboursement, “met en difficulté la gestion et l’opérationnalisation de ce régime”, précisent les auteurs du rapport.

Cumul de missions incompatibles

Le rapport mentionne également le cumul par la CNSS de deux missions incompatibles : la gestion de l’AMO des salariés du secteur privé et la production des soins par ses unités médicales. La même source rappelle que la CNSS gère 13 polycliniques qui offrent des prestations de soins. L’article 44 de la loi n°65-00 interdit pourtant aux organismes gestionnaires de l’AMO de gérer des établissements assurant des prestations de diagnostic, de soins, ou d’hospitalisation.

Cette situation concerne également la CNOPS. Celle-ci a conclu avec les mutuelles qui la composent une convention par laquelle ces dernières sont chargées de la gestion des prestations portant sur les soins ambulatoires. Le rapport de la Cour des comptes précise que cette convention a été conclue sans l’observation des dispositions de l’article 44. En effet, plusieurs mutuelles disposent d’unités médicales et agissent en tant que prestataires de soins d’un côté, et gestionnaires pour le compte de la CNOPS des dossiers relatifs aux soins ambulatoires, moyennant des frais de gestion, de l’autre.

Budgets mal gérés

L’article 75 de la loi n°65-00 précise que la gestion de l’AMO doit être “autonome par rapport aux autres prestations assurées par la CNSS”. Contrairement aux dispositions de cet article, la mise en œuvre et la gestion de l’AMO – depuis l’immatriculation des assurés jusqu’au règlement des prestations – appellent l’intervention de l’ensemble des pôles et des directions de la CNSS. Ainsi, les principaux moyens de la caisse sont mutuellement exploités par les différents régimes gérés par cet établissement, soulignent les commissaires aux comptes.

Cette organisation se répercute sur la budgétisation des crédits de l’AMO et sur le système de comptabilisation de ses frais de gestion, précise le rapport. Ainsi, l’examen des documents budgétaires de ce régime a montré que l’AMO n’a pas de budget distinct. En outre, les situations d’exécution de ces budgets sont également confondues avec celles du régime général. Par conséquent, ces documents budgétaires ne reflètent pas fidèlement les dépenses imputées effectivement au régime de l’AMO.

Qui plus est, la visite de certaines directions régionales et agences locales relevant de la CNSS a permis d’enregistrer une insuffisance de moyens affectés à la gestion de ce régime, relèvent les commissaires aux comptes. Cette insuffisance se manifeste notamment par un manque de ressources humaines,  un nombre suffisant d’agences, et un retard de la mise à jour de la situation des assurés.

Une couverture (toujours) restreinte

En dépit des efforts déployés par le gouvernement pour étendre le champ de la couverture médicale de base, les commissaires aux comptes ont relevé, lors de l’examen de la situation des affiliés à l’AMO au niveau des deux organismes gestionnaires (CNSS et CNOPS), qu’une large population éligible n’a pas encore accès à la couverture médicale. Il s’agit des employés de 3.369 entreprises employant un effectif de 639.654 salariés, et de 32 établissements publics, dont l’effectif est estimé à 250.000 personnes éligibles.

La même source souligne un faible taux de couverture des dépenses de soins restant à charge de l’assuré, que ce soit pour les employés du secteur public ou privé. Par exemple, le taux de couverture des soins en mode ambulatoire se situe, en moyenne, à 58% par rapport au tarif national de référence (TNR).

En 2017, 61% des dossiers ont été remboursés avec un taux inférieur à 70 %, et pourtant, le taux de couverture offert par l’AMO/public varie entre 70 % et 100 %. Ce taux varie entre 70 % et 90 % de la TNR pour les assurés du secteur privé.

Là encore, le rapport mentionne un non-respect de ce taux lors du remboursement des différentes prestations de soins ou d’achat des médicaments. “Ce taux varie, d’un poste de soins à un autre, de 19% pour la lunetterie médicale à 69 % pour l’hospitalisation”, soulignent les commissaires aux comptes, expliquant cela par le fait que les bases de remboursement sont souvent inférieures aux prix pratiqués et facturés par les prestataires de soins.

 

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