Maroc - Chine: où en est-on dans le partenariat ?

Par François Jurd De Girancourt

Associés chez McKinsey, les consultants François Jurd de Girancourt et Irene Yuan Sun « marocanisent » le dernier rapport du cabinet sur les relations sino-africaines.

Début février 2019, la ville marocaine de Chefchaouen a été décorée de 1.500 lanternes rouges de style chinois pour célébrer le festival du printemps chinois. Il y a trois ans, on aurait difficilement pu imaginer une telle manifestation dans cette petite ville touristique du nord du Maroc. Ce type d’affichage public – et l’augmentation évidente du nombre de touristes chinois dans le Royaume au cours des dernières années – ont suscité un vif intérêt ainsi que des interrogations légitimes de la part de l’opinion publique concernant la présence chinoise au Maroc.

François Jurd de Girancourt est Directeur Associé de McKinsey & Company en Afrique

Les faits montrent que la Chine a actuellement une présence économique relativement modeste au Maroc. Historiquement, la Chine n’a jamais été un investisseur majeur au Maroc. Entre 2007 et 2017, ses investissements directs au Maroc se situaient derrière ceux d’une vingtaine d’autres pays. Aujourd’hui, la seule dimension à travers laquelle la Chine a des liens économiques forts avec le Maroc est le commerce : la Chine est le troisième partenaire commercial du Maroc.

Irene Yuan Sun est Associate-Partner chez McKinsey & Company aux Etats-Unis

La relation est cependant déséquilibrée, la Chine exportant 13 fois plus de biens vers le Maroc qu’elle n’en importe du Maroc. L’engagement économique de la Chine au Maroc reste modeste lorsque mis en balance avec l’engagement de la Chine sur le reste du continent africain. Le rapport de McKinsey & Company, Danse des Lions et des Dragons: comment l’Afrique et la Chine travaillent ensemble et comment va évoluer le partenariat? a examiné comment, au cours des deux dernières décennies, la Chine est devenue le plus important partenaire économique de l’Afrique : la Chine est maintenant le plus grand partenaire commercial du continent, le plus grand contributeur en termes d’IDE (Investissements Directs Etrangers), celui avec la plus forte croissance des IDE, le plus important bailleur de fonds étatique pour les infrastructures et l’un des principaux donateurs en matière d’aides du continent. Avec la création de l’Initiative Nouvelle Route de la Soie (Belt and Road Initiative – BRI) en 2013, la Chine a élargi ses ambitions internationales pour collaborer avec d’autres gouvernements d’Afrique, d’Asie, d’Europe et du Moyen- Orient afin de créer de nouveaux corridors économiques transnationaux.

Bien que les relations sino-marocaines économiques soient encore émergentes, une accélération récente peut être observée. En mai 2016, un partenariat stratégique entre les deux pays a été convenu lors de la visite du roi Mohammed VI en Chine. Cela a donné naissance à une série d’initiatives, notamment l’adhésion officielle du Maroc à la BRI en 2017, une exemption de visa pour les touristes chinois se rendant au Maroc, plusieurs partenariats industriels (construction de chemins de fer, énergies renouvelables, etc.) et la construction prévue d’une ville industrielle près de Tanger par une entreprise chinoise (China Communication Construction Company – un memorandum d’entente aurait récemment été signé par la celle-ci).

Du côté marocain, l’espoir est qu’en attirant les investissements chinois, le Maroc connaisse une croissance industrielle plus rapide, une augmentation des opportunités d’emploi local ainsi que des transferts de technologie. Du côté chinois, nous voyons trois raisons pour cet intérêt croissant pour le Maroc. Premièrement, le Maroc offre un niveau de stabilité politique attrayant. Deuxièmement, le Maroc constitue une passerelle vers l’Europe pour les entreprises chinoises. Ses coûts de main-d’œuvre sont concurrentiels, ses infrastructures de transport relativement bonnes, et le royaume possède un statut commercial préférentiel avec l’Union européenne (et les États-Unis).Le Maroc étant, dans une moindre mesure, perçu par la Chine comme une passerelle commerciale vers les pays d’Afrique de l’Ouest. Par ailleurs, les principales banques marocaines ont les réseaux africains pour accompagner les entreprises chinoises sur l’ensemble du Continent.

Pour ces raisons, les IDE chinois au Maroc ont fortement augmenté depuis la visite du roi en 2016. En 2017, le Maroc a reçu 90 millions de dollars en IDE en provenance de Chine, soit le double de celui de 2015. Plusieurs entreprises chinoises ont annoncé des investissements au Maroc, notamment des équipementiers automobiles (Citic Dicastal, un fabricant de jantes en aluminium et Nexteer Automotive, un équipementier spécialisé dans les systèmes de direction). BYD, un fabricant chinois d’équipements et de véhicules électriques, devrait également construire une usine près de Tanger. Aussi, le nombre de touristes chinois a été multiplié par six en seulement deux ans depuis l’entrée en vigueur de l’exemption de visa en juin 2016. La croissance devrait se poursuivre : le ministère du Tourisme, des Transports aériens, de l’Artisanat et de l’Economie sociale prévoit 500 000 touristes chinois par an d’ici 2020, contre 120 000 en 2017. Le lancement attendu d’une liaison aérienne directe entre la Chine et le Maroc d’ici la fin de l’année et l’organisation d’événements culturels entre les deux pays laissent présager des relations bilatérales croissantes.

Une question difficile reste à résoudre. La relation peut-elle être équilibrée ? Cette question est essentielle, compte tenu en particulier du déséquilibre commercial actuel entre les deux pays. Le rapport Danse des Lions et Dragons met en lumière comment d’autres pays africains ont pu tirer bénéfice de leurs relations avec la Chine. Tout d’abord, il est utile que les pays aient une « Stratégie Chine » intégrant une réflexion sur la manière dont les objectifs nationaux peuvent bénéficier des investissements chinois. Dans le cas du Maroc, comment faire participer le gouvernement et investisseurs chinois à l’élaboration d’accords de transfert de technologie et à la création de programmes éducatifs conjoints, comment favoriser des joint-ventures pour permettre de substituer la production locale aux importations chinoises ? Un autre exemple concerne les infrastructures : comment le Maroc peut-il mettre à profit sa participation à la BRI pour faire progresser ses objectifs d’infrastructure nationaux ?

Pour mener à bien ce type de « stratégie Chine » aux multiples facettes, les pays africains ayant le mieux réussi ont délibérément investi dans des administrations capables de dialoguer avec leurs contreparties chinoises. En Éthiopie, par exemple, le personnel chargé de la promotion des investissements connaît très bien le paysage commercial chinois et recrute également du personnel parlant le mandarin. Un autre exemple est l’Afrique du Sud, qui dispose de plusieurs bureaux consulaires en Chine, (et non d’un seul à Beijing), afin de nouer des contacts avec un plus grand nombre d’investisseurs potentiels.

L’agriculture pourrait être un autre moyen de réduire le déséquilibre commercial entre le Maroc et la Chine. En 2017, le Maroc a exporté 2 milliards de dollars de produits agricoles, mais seulement 0,2% de cette valeur a été exportée sur le marché chinois. Une analyse pourrait être faite pour déterminer quelles exportations agricoles marocaines pourraient être adaptées au marché chinois et quelles mesures pratiques (par exemple, foires commerciales dédiées, règles phytosanitaires) pourraient être adoptées pour encourager les exportations agricoles marocaines vers la Chine. Cela pourrait contribuer à donner aux relations sino-marocaines une assise plus équilibrée et pérenne.