Zakaria Boualem et les Marocains en autogestion

Par Réda Allali

Cette semaine, il nous faut, sans la moindre hésitation, interrompre la longue litanie de jérémiades habituelles pour honorer une véritable héroïne du Maroc Moderne. Une dame qui a suscité l’admiration de Zakaria Boualem, et ce n’est pas chose facile (il ne suit pas le foot féminin). Elle s’appelle Najia Nadhir et a décidé, en son âme et conscience, d’offrir une douzaine de millions de dirhams pour la construction d’écoles dans sa région natale, du côté de Settat.

“Najia Nadhir aurait pu faire comme tant d’autres mécènes, et construire une mosquée en espérant trouver dans cette action la garantie d’un au-delà confortable”

Réda Allali

Si on se laissait aller à l’écriture en émoji, on se serait bien fendu d’une douzaine de petites mains qui applaudissent suivies par des cœurs qui battent avec enthousiasme et un petit feu d’artifice, que Dieu nous épargne cette infamie. Quelle noble initiative ! Elle aurait pu faire comme tant d’autres mécènes, et construire une mosquée en espérant trouver dans cette action la garantie d’un au-delà confortable, mais elle a judicieusement noté qu’il y en avait déjà beaucoup. Elle aurait aussi pu faire comme encore plus de gens fortunés, et ne rien faire du tout sans que personne n’y trouve à redire.

Mais voilà: mue par une sorte d’esprit citoyen, elle a mis la main à la poche pour que les locataires du Maroc Moderne s’élèvent intellectuellement, il faut dire qu’il y a urgence. Bien entendu, son geste à été salué par les internautes, les plus exaltés ont même demandé à tout le monde d’imiter son initiative. Vous connaissez le refrain, il est partout sur les réseaux sociaux: “Ah voilà enfin une femme qui montre l’exemple, au moment où tout le monde ne pense qu’à sa gueule, bande d’égoïstes, si tout le monde faisait comme elle, notre pays serait magnifique”.

Une saillie culpabilisatrice immanquablement suivie par l’affreuse phrase de Kennedy, qu’on ne veut même pas recopier en entier ici tellement elle est énervante : “Ne te demande pas ce que ton pays peut faire pour toi gneugneugneu”… C’est une des particularités de notre paisible contrée : il ne faut pas se contenter de se saigner pour offrir une éducation privée à nos enfants, il faudrait, en plus, mettre la main à la poche pour sauver le public. Les milliards d’impôts collectés, les commissions penchées, les plans d’urgence ne servent à rien les amis. C’est Najia qui a raison, et nous devons tous l’imiter. Dans la tête des Marocains, c’est désormais très clair: nous sommes en autogestion.

Zakaria Boualem en était à ce point de sa réflexion lorsqu’il a décidé de se rendre au Salon du livre. Ne me demandez pas pourquoi, j’ai déjà le plus grand mal à comprendre les motivations de ce personnage qui, depuis longtemps, lui ont échappé. Arrivé sur les lieux, il a été saisi par la masse de visiteurs. Des centaines de personnes de tous âges s’étaient déplacés pour célébrer le livre, c’était spectaculaire. Une foule joyeuse et bigarrée agglutinée devant les guichets pour acheter leur ticket, on se serait cru la veille d’un derby. Un instant, notre héros a même pensé s’être trompé d’adresse, voyez le niveau de son nihilisme.

Mais non, tous ces gens étaient bien là pour la fête du livre. Le Guercifi a vu dans cette foule un motif de confiance : on ne peut pas désespérer d’un peuple qui se passionne à ce point pour la culture. Il était tellement heureux, le bougre, qu’il a aussitôt décidé de rebrousser chemin, de peur de découvrir à l’intérieur de la foire une motivation plus triviale pour cette foule de visiteurs. Avec l’âge, il ne peut pas se permettre d’encaisser une nouvelle déception le pauvre. Il restera donc sur cette image de milliers de jeunes avides de lecture, et s’empresse de vous saluer avant que toute cette belle chronique ne tourne mal. C’est donc tout pour la semaine, et merci.